Chronique sur Mordicus
Stéréo-Séquence, le 23 février 2014 (mis en ligne le 6 mars 2014)
J’éprouve une faiblesse
singulière pour les accents. Mes jambes ramollissent comme du coton quand
j’entends causer les Français. Les Britanniques me font le même effet. Plus
près de chez nous, les inflexions néo-brunswickoises et gaspésiennes me font rêver
de grands espaces bleutés. Et que dire de l’argot du Lac-Saint-Jean? Je
l’adore, celui-là. Parfois, je me surprends à parler comme si j’étais native de
Saint-Félicien. J’ai peut-être des ancêtres là-bas, qui sait. Ou alors, mon
escale dans le Rang Double Nord a déposé sur ma langue quelques traces tenaces.
Je suis également très bon public,
surtout pour les bonnes vieilles blagues régionales. En fait, je rigole même
quand je les connais par cœur, c’est tout dire. Je me rends compte très vite
que ce tournage avec Mordicus ne
sera pas des plus sérieux. À croire que les gars de Chicoutimi ont reçu le don
de faire rire en héritage.
D’ailleurs, c’est déjà l’hilarité
générale dans le van du band, où l’on s’entasse comme des sardines pour gravir
la côte du Passage en sortant du traversier Québec-Lévis. Ce qui fait qu’on
n’est pas loin d’une douzaine au total. Une joke n’attend pas l’autre tandis
que le tape à cassettes (!) nous
crache aux oreilles des vieux succès (à prononcer avec l’accent du Saguenay,
SVP). Ça donne le goût de partir en tournée ou en road trip aux USA.
Le tournage a lieu au Studio 109, un repaire d’artistes
lévisiens fort habiles avec le bois. Pendant que je zieute les futures œuvres
et pose des questions à nos hôtes-créateurs Marie-Claude et Julien, l’équipe de
Stéréo-Séquence s’installe pour la captation. Les musiciens, eux, branchent
leurs instruments en se décapsulant une Labatt 50. Il n’est que 13 h. On
peut sortir les gars du Lac, mais pas le Lac des gars, comme on dit. Fidèles à
leur réputation de bouffons, ils se parent d’accessoires dénichés dans
l’atelier : coquilles antibruit, lunettes de sécurité, casque de soudure,
marteau, ruban à mesurer… Se costumer à la YMCA ajoutera-t-il une dose supplémentaire
de testostérone à leur prestation? J’en doute.
C’est plutôt leur musique qui est
virile et musclée. La guitare électrique me rentre dans le corps et les
premiers coups de baguette sur le drum doivent s’entendre jusqu’à la rive nord.
C’est fort, ça sonne comme une tonne de briques. Mes pieds et ma tête battent
la mesure et j’ai comme une envie soudaine de m’allumer une clope et d’écluser
une p’tite frette. Comme dans le temps. Dans mon cœur, j’ai à nouveau 15 ans. Je
regarde les garçons, les musiciens, et j’ai la nette impression qu’aucun
d’entre nous ici n’a réellement quitté l’adolescence.
Des fous rires, de la bière, du bon rock
pesant : tous les ingrédients sont là aujourd’hui pour nous garder jeunes
longtemps.