Chronique écrite pour Monlimoilou.com
Le 7 mars 2014
Mon regard transperce la fenêtre et sautille de branche en
branche. Assise dans cette pièce qui me sert d’exutoire, où les mots se
bousculent frénétiquement au gré de mes humeurs, je pense à toi en contemplant
le feuillu centenaire qui étend ses racines sous l’immeuble de mon nouvel
appartement.
Je suis enfin de retour, Limoilou. Et même si les bourgeons
sont pétrifiés de froid pour encore quelques semaines, mon cœur est joyeux
comme une bouffée printanière.
On est un vieux couple, toi et moi. Déjà vingt ans qu’on se
côtoie. Ma plus longue histoire d’amour. Oh, j’ai bien caracolé ici et là.
Butiné d’autres contrées. J’ai commis l’adultère avec Montréal. Flirté avec les
quartiers Saint-Jean-Baptiste et Saint-Sauveur. Je t’ai même trompé avec l’île
d’Orléans, L’Ange-Gardien, Saint-Félicien. J’avais besoin d’étendues vastes et d’air
pur, on dirait bien.
Infidèle? Sans aucun doute. Je suis une petite bête curieuse
et aventureuse qui carbure au changement.
Ma dernière liaison se nomme Saint-Roch. C’est ton voisin; tu
le connais bien. Il a su me séduire avec sa Saint-Jo effervescente, tellement
hétéroclite et inspirante. Si j’adorais fréquenter ses commerces à l’ouest de
Dorchester, je préférais par-dessus tout observer la faune bigarrée qui
peuplait le parvis de son église.
Mais Saint-Roch n’était qu’un feu de paille. Pendant que
notre passion se consumait, je me surprenais à penser à toi, Limoilou. Tout de
toi me manquait. L’arche formée par la crête des arbres qui se caressent
au-dessus de ta 2e Avenue. Les grenouilles qui se font la cour en
bordure de ta jolie rivière à la venue des beaux jours. L’écho des rires
d’enfants dans tes ruelles peuplées de chats errants. Les draps qui claquent
sur tes cordes à linge les jours de grand vent.
Et les gens. Ceux qui sont, eux aussi, profondément amoureux
de toi. Je ne suis pas jalouse, je les comprends. D’ailleurs, on se reconnaît
lorsqu’on se croise sur la 3e Avenue, quand le temps doux encourage
la flânerie et les discussions à bâtons rompus. Nos yeux s’accrochent; nos
sourires se dessinent, complices. On se tricote le tissu social et l’esprit de
communauté se propage comme une ITS. Un virus inoffensif qui fait tellement du
bien à l’âme.
Vingt ans, disais-je. C’est pas mal la moitié de ma vie.
Me voilà donc mi-moi, mi-louve.
Et amoureuse comme au premier jour.