10 mars 2014

Mi-moi, mi-louve

Chronique écrite pour Monlimoilou.com
Le 7 mars 2014

Mon regard transperce la fenêtre et sautille de branche en branche. Assise dans cette pièce qui me sert d’exutoire, où les mots se bousculent frénétiquement au gré de mes humeurs, je pense à toi en contemplant le feuillu centenaire qui étend ses racines sous l’immeuble de mon nouvel appartement.

Je suis enfin de retour, Limoilou. Et même si les bourgeons sont pétrifiés de froid pour encore quelques semaines, mon cœur est joyeux comme une bouffée printanière.

On est un vieux couple, toi et moi. Déjà vingt ans qu’on se côtoie. Ma plus longue histoire d’amour. Oh, j’ai bien caracolé ici et là. Butiné d’autres contrées. J’ai commis l’adultère avec Montréal. Flirté avec les quartiers Saint-Jean-Baptiste et Saint-Sauveur. Je t’ai même trompé avec l’île d’Orléans, L’Ange-Gardien, Saint-Félicien. J’avais besoin d’étendues vastes et d’air pur, on dirait bien.

Infidèle? Sans aucun doute. Je suis une petite bête curieuse et aventureuse qui carbure au changement.

Ma dernière liaison se nomme Saint-Roch. C’est ton voisin; tu le connais bien. Il a su me séduire avec sa Saint-Jo effervescente, tellement hétéroclite et inspirante. Si j’adorais fréquenter ses commerces à l’ouest de Dorchester, je préférais par-dessus tout observer la faune bigarrée qui peuplait le parvis de son église.

Mais Saint-Roch n’était qu’un feu de paille. Pendant que notre passion se consumait, je me surprenais à penser à toi, Limoilou. Tout de toi me manquait. L’arche formée par la crête des arbres qui se caressent au-dessus de ta 2e Avenue. Les grenouilles qui se font la cour en bordure de ta jolie rivière à la venue des beaux jours. L’écho des rires d’enfants dans tes ruelles peuplées de chats errants. Les draps qui claquent sur tes cordes à linge les jours de grand vent.

Et les gens. Ceux qui sont, eux aussi, profondément amoureux de toi. Je ne suis pas jalouse, je les comprends. D’ailleurs, on se reconnaît lorsqu’on se croise sur la 3e Avenue, quand le temps doux encourage la flânerie et les discussions à bâtons rompus. Nos yeux s’accrochent; nos sourires se dessinent, complices. On se tricote le tissu social et l’esprit de communauté se propage comme une ITS. Un virus inoffensif qui fait tellement du bien à l’âme.

Vingt ans, disais-je. C’est pas mal la moitié de ma vie.

Me voilà donc mi-moi, mi-louve.

Et amoureuse comme au premier jour.