27 avril 2014

Épilogue

Texte publié dans le catalogue/recueil issu de l'événement Voir & Percevoir II de la 4e édition de L'inspiration du moment, à la galerie d'art L'espace contemporain de Québec, 2014


Tes petits doigts dans l’eau glacée du ruisseau. Tu tentais d’attraper les poissons à mains nues, ton épuisette abandonnée sur le rivage tapissé de cailloux. Le soleil se frayait un chemin à travers le feuillage des bouleaux. En pieds de vent, il chatouillait le galbe de ta joue et déposait des paillettes dorées dans tes cheveux si doux.

Te souviens-tu de ces jeux qui renversaient le cours du temps?

Les jours d’été qui s’étiraient jusqu’à tard dans la nuit. Le lac où l’on pataugeait à grands cris. La montagne qui nous renvoyait l’écho de nos rires en cascades. Les framboises sauvages avalées goulûment. Les couleuvres que tu cachais sous ton gaminet. Les grenouilles, aussi. Dans un seau sous ton lit.

Tu aimais la saison froide tout autant. Les glissades sur la butte derrière la maison. Les randonnées en ski les samedis dans la forêt. Notre forêt. Le foyer qui crépitait et séchait nos mitaines gorgées de neige. Les biscuits trempés dans le chocolat chaud épicé à la cannelle.

Puis, tu t’es dépouillé de tes habits d’enfant. Et plus les années s’écoulaient, plus tu lui ressemblais. Toujours plus de lui en toi. Ses gênes ont éclipsé les miens.

Ce qui est une excellente chose.

Car me voilà sanglée dans ces draps tachés de souffrance. Mon ADN est déficient, et tout mon corps est en rébellion. Chaque cellule qui le compose mène un combat perdu d’avance. La mort me guette et m’attend.

Je sens tes doigts d’homme qui massent délicatement la peau translucide de mes mains. Si au moins une parcelle de vie subsistait encore en moi pour que je te rende la caresse. Et ces mots qui m’habitent; ils n’ont plus la force de franchir le portail de mes lèvres. Pourtant, j’aimerais tant te dire au revoir. Te conjuguer l’amour au présent, une toute dernière fois.

Ne t’en fais pas, mon grand. Je n’ai plus peur. La douleur m’a quittée comme l’amant se sauve au petit matin. Le brouillard opaque qui m’encerclait se dissipe. Je revois notre forêt. Le sentier. Les herbes folles caressent mes chevilles nues. Je les sens! Et cette odeur de terre mouillée, et d’aiguilles de sapin baumier! Au loin, une lueur orangée. Pas celle qui émane des villes les soirs de nuages, non. Une lumière chaude, enveloppante. Un feu de braises qui frissonne. J’ai envie de m’y consumer.

C’est cela, mourir?

Comme c’est paisible.

Dans le ventre du Bloc 5

Article écrit pour Monlimoilou.com
Le 24 avril 2014


Avec la Manif d’art qui s’en vient et des projets d’envergure de l’ordre de l’amphithéâtre, l’art visuel et l’art public sont bien représentés à Québec. Et c’est souvent au Bloc 5 qu’ils prennent racine.

« C’est une coopérative de producteurs-artisans », explique Jean-Robert Drouillard, artisan-sculpteur et membre fondateur du Bloc 5. « On est des travailleurs autonomes sous un même toit, on partage les locaux et les outils. On n’a pas de cubicules; tout est ouvert complètement. Il y a toujours une mouvance, et on s’entraide. »

Le bâtiment, situé sur la 5e Rue à Limoilou, abritait jadis un atelier d’éclairage avant que Jean-Robert et trois autres artisans achètent les 3000 pieds carrés en 2002 et rénovent de fond en comble, transformant les lieux en espace de travail. « On était dans un autre monde à cette époque-là. C’était avant l’ère Labeaume. Il y avait des subventions pour accueillir des ateliers dans Saint-Roch. Puis, pendant peut-être six mois, ils ont dit : le même programme qui s’est fait dans Saint-Roch, on va le faire dans le Vieux-Limoilou. Nous autres, on est allé sur un coup de tête, c’était hyper improvisé, et ils ont dit oui. » Un heureux hasard, puisque le programme de subventions a été aboli peu de temps après. « La même coop, les mêmes gens dans un lieu qui serait loué, on serait plus là, on serait mort. Sans la coop, on ne ferait pas notre métier ».


Sculpter sa croûte

Le Bloc 5 a des airs de garage sorti tout droit des années 50. Il se divise en trois sections : un atelier pour le bois, un autre pour le métal ainsi qu’une pièce qui fait office d’accueil/bureau/cuisinette. C’est bruyant, vivant; ça sent la poussière, la soudure et le bran de scie. « On est complètement en dehors du cliché des artistes qui travaillent selon leur inspiration du moment. Ici, c’est du matin au soir, du lundi au vendredi, parfois c’est sept jours sur sept… Et ça change beaucoup selon les mois, dépendamment des contrats. »

Ils sont maintenant cinq artisans-sculpteurs à se partager les lieux, et emploient plusieurs collaborateurs afin de les aider à concrétiser leurs projets. Une véritable fourmilière, où chacun arrive à vivre de son art. « Le but en fondant la coop, c’était de gagner notre vie avec notre savoir-faire. On n’avait pas comme ambition d’avoir un job à côté et de venir à l’atelier produire de l’art. »


Manif d’art 7

Trois artisans du Bloc 5 seront de la Manif d’art 7, qui aura lieu du 3 mai au 1er juin 2014. On pourra admirer les personnages en bois grandeur nature de Jean-Robert Drouillard deux fois plutôt qu’une avec ses installations sculpturales Des hélicos sur l’Îlot Fleurie (Espace 400e) et Quelques particules de nous dans un accélérateur (Musée national des beaux-arts). À la grande galerie de l’Œil de poisson, on se questionnera sur l’œuvre de Marc-Antoine Côté, une immense boulette de métal intitulée Il/elle n’a pas de nom (photo). Enfin, CIRCONVOLUTION CIRCONLOCUTION, une sculpture installative de Ludovic Boney, occupera la Galerie Morgan Bridge. Détails de la programmation sur manifdart.org.

Noé Talbot à Stéréo-Séquence

Chronique sur Noé Talbot
Stéréo-Séquence, le 5 avril 2014 (mis en ligne le 22 avril 2014)

Nous y revoilà. À Montréal, oui, pour une journée intensive de tournage. Mais aussi, à ce fameux Chat des artistes, espace voué à la création où se côtoient boutiques et ateliers. Lors de notre passage en novembre dernier, nous avions dû rebrousser chemin pour certaines considérations techniques. Nous sommes bien heureux d’y revenir, et c’est deux capsules plutôt qu’une qui seront réalisées ici.

Bien calée sur le magnifique canapé vintage qui compose le mobilier du vestibule, je mastique minutieusement mes frites et mon burger entamés en route, question de donner une chance à ma digestion. Les garçons, eux, ont déjà tout gobé et s’affairent à l’installation de l’équipement. Noé Talbot et ses alliés font leur entrée; quelques sourires et poignées de mains et hop! Les voilà en place pour quelques répétitions de Copropriété intellectuelle, une pièce qui se retrouve sur son EP intitulé Beurre noir. À ce que j’ai compris, c’est une première rencontre entre Noé et la trompettiste Rachel Therrien. Ils ont toutefois l’air confiants. Cette capacité qu’ont les musiciens à se réunir spontanément tout en nous en mettant plein les oreilles, ça me fascine. Un genre de cohésion naturelle.

Et c’est réussi. Je l’entends, cette cohésion. Je ne peux la voir de mes yeux, car j’ai dû me « cacher » dans un coin pour m’éclipser de la caméra. Cependant, je capte le moment ainsi que les notes qui s’échappent du hall. Je les imagine flottant dans les airs, se faufilant jusqu’à mon repaire. Elles s’incrustent dans ma tête, et le rythme façon ska me donne des fourmis dans les jambes. Ça donne envie de danser.

Puis, les instruments se taisent pour laisser Noé siffler la mélodie. Jolie finale.

Un sourire se dessine sur mon visage.

J’aime ça, moi, les siffleux.

À poil, toutes!

Chronique sur le webzine culturel Mauvaise Herbe
Le 17 avril 2014

Il y a quelques mois, le poil a fait l’objet de plusieurs discussions sur les forums et les réseaux sociaux. On y faisait état des dangers potentiels liés à l’épilation intégrale, notamment la prolifération de bactéries pathogènes ainsi que les risques d’infections et de maladies transmissibles. On se questionnait sur son utilité, tout en encourageant le « retour au naturel », autant chez l’homme que chez la femme. Car si l’être humain en est pourvu, ceux-ci doivent bien servir à quelque chose, non?

Début avril, ma collègue Marielle Couture déposait sur Facebook une série de photos de femmes splendides exposant leurs aisselles non épilées. Elle commentait le reportage en disant qu’elle ne voit aucune gêne à arborer le poil chez elle, dans son joli village de Sainte-Rose-du-Nord, mais que subsiste en elle une parcelle de conditionnement qui lui dicte de se raser lorsqu’elle se retrouve « en société ».

On a beau vouloir s’en défaire, s’en débattre, les standards esthétiques qui nous ont été inculqués depuis nos jeux de poupées nous ont marquées de profonds stigmates.

Je me considère comme féministe. Je ne suis pas radicale, mais je partage une grande partie des opinions de mes consoeurs. Parce que je trouve ça juste logique, parce que pour moi ça va de soi que la femme est l’égale de l’homme. Mais malgré mes convictions, je suis une fashion victim et me conforme – de façon assez minime, tout de même – aux « conventions » féminines. Je me déteste pour ça. Je travaille fort sur moi pour ne pas constamment succomber aux tendances saisonnières si vite passées (et oubliées). Je mène un combat perpétuel pour me sortir du piège de la surabondance et de l’overachievement1. Et, comble de malheur – ou de bonheur, c’est selon – je suis célibataire, donc je m’impose d’être toujours « à mon meilleur », au cas où je ferais une rencontre inattendue. Même un soir de semaine.

Alors j’ai l’aisselle glabre TOUS LES JOURS. Ma ligne de sourcil est loin d’être parfaite, mais rien ne dépasse : j’y traque les indésirables chaque matin. Heureusement, je suis moins freak au niveau de la jambe, surtout en période froide – j’ai donc un bon répit d’au moins huit mois.

J’écris ça et j’ai honte. Je suis hyper conditionnée. Au point où lorsque je vois une fille qui n’est pas rasée de près, ça m’agace. Pire : je trouve ça LAID.


Fais-toi pas le poil Estelle, c’est naturel

Le poil est une mode. Il fait partie d’un cycle. Depuis quand déjà la barbe est-elle synonyme de branchitude? Dans peu de temps, on verra sa popularité décliner et le pelage au menton, si sexy soit-il aujourd’hui, sera honni. En attendant, même la Madone a jeté aux orties son Epilady, dévoilant sur son compte Instagram, en mars dernier, un selfie de son aisselle duveteuse (ceci dit, je ne trouve pas ça moins laid parce que c’est Madonna).

Si la tendance se maintient, le crin féminin deviendra réellement un style incontournable, instaurant, du coup, la notion de « normalité ». Nous, les femmes, assumerons pleinement notre pilosité naturelle. Plus un seul rasoir polluera les sites d’enfouissement et Gillette misera sur des crèmes adoucissantes et colorantes pour éviter la faillite et ajouter un brin de fantaisie à nos toisons.

Qui sait, je vais peut-être finir par trouver ça beau, le poil de t’sour.


1 Overachievement : on peut traduire, en français, par « suraccomplissement ».