6 décembre 2013

Brûlée raide

Texte publié dans le premier recueil du Cercle d'auteurs de la relève, «Textes indigestes et autres problèmes gastriques», 2013


La crise.

Elle menace de surgir à tout moment, tapie quelque part derrière les paupières lourdes de fatigue. Ne pas ouvrir les yeux. Ne plus vouloir s’éveiller au petit matin. Le chagrin dans un écrin. Vouloir dormir, dormir, jusqu’à en mourir. Étouffer le réel de songes. Troquer le quotidien pour une parcelle de rêves.

Les larmes, enfin. Elles se déversent sans retenue, barbouillant les joues creusées par le vide.

S’extirper tout de même du lit. Se foutre de son reflet dans le miroir, les yeux collés d’insomnie. Ne plus jamais déjeuner, l’estomac noué. Maigrir à vue de nez.

Arriver au bureau. Se coller la rétine sur un écran pendant des heures. Affalée sur une chaise, dos voûté sous le poids des responsabilités. Vite, vite, performer. Salaire assuré; rentabilité exigée.

Avoir envie de crier.

Pause lunch en compagnie de ses amis virtuels. Faire croire au monde entier agglutiné à la toile que tout va bien. Liker un paquet de niaiseries. Passer à côté de sa vie.

Revenir à la maison, crevée. Des miettes sur le comptoir. La vaisselle sale empilée dans l’évier. Partir à brailler. Se faire un Ramen pour apaiser sa peine.

Se vautrer dans le canapé. Le son blanc de la télé. L’esprit en déroute, les yeux dans la brume. Ouvrir une bouteille de rouge. Boire une bouteille de rouge. Vomir une bouteille de rouge.

Sombrer dans un coma éthylique sur la céramique.